Du dopage dans le sport

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Par Laurence Côté-Leduc et Nicolas Vonarx – 1er août 2016

Les auteurs se penchent sur un sujet fort d’actualité dans l’univers du sport: le dopage. Ils proposent certains éléments d’explication de cet attrait pour les produits dopants et évoquent ce que cela signifie notamment en regard de la conception du corps au sein de notre société.

 
Si vous demandez à chaque garçon qui est son modèle de vie, un grand nombre vous répondra qu’il s’agit d’un joueur de hockey qui a joué dans la ligue nationale ou avec le Canadien de Montréal, comme Mike Ribeiro, Steve Begin, Maurice Richard, Guy Lafleur. Ces figures emblématiques viennent de différentes régions du Québec. Elles ont d’abord été repêchées dans leur club de la ligue junior majeure. Ces clubs sont la fierté des régions et le berceau du repêchage. Plus précisément, la ligue comporte 18 équipes. En Abitibi, par exemple, les Foreurs de Val-d’Or et les Huskies de Rouyn-Noranda s’affrontent chaque semaine. Les partisans s’enflamment devant le spectacle de ces joueurs habiles. Ces parties sont communément nommées « la guerre de la 117 ». Les joueurs des Huskies sont reconnus dans toute la municipalité de Rouyn-Noranda. Ils signent des autographes aux petits comme aux grands et remplissent le stade de partisans fébriles et dynamiques à chaque partie disputée. Enfants, parents, amis, grands-parents, tous s’enthousiasment devant la frénésie des Huskies. Depuis l’inauguration de l’équipe en 1969, la joute du vendredi a progressivement remplacé la messe du dimanche.
 
Le hockey dans les régions, c’est une tradition qui se transmet entre les générations. Le repêchage des joueurs pour la ligue junior majeure commence dès les niveaux bantam et midget. Les jeunes ont alors entre 13 et 17 ans. À cet égard, des écoles secondaires proposent de jumeler sport avec études. Ancrées dans un certain esprit sportif, elles demeurent très sélectives étant donné l’importance de la demande. En parallèle, la Fédération québécoise de hockey reçoit, chaque année, des plaintes anonymes concernant des cas de dopage sportif repérés dans certains clubs de la région de l’Abitibi, engendrant des inégalités de sélection. En 2010, la Fédération s’est penchée sur ce problème en menant une enquête à la grandeur du Québec. Afin de déterminer la prévalence du dopage sportif chez les adolescents de la province, des chercheurs ont effectué une étude à grande échelle auprès de 3573 jeunes de 13 à 17 ans pratiquant un sport chapeauté par une fédération reconnue (Goulet et coll. 2010). Les résultats de cette étude indiquent que 25 % des répondants auraient fait usage d’un ou de plusieurs produits interdits, ou soumis à certaines restrictions, dans l’objectif d’améliorer leurs performances. Le sport où la prévalence était la plus élevée était alors le hockey. Selon Smith et Steward (2015), cette prévalence pourrait même être supérieure étant donné la sensibilité du sujet et la désirabilité sociale qui influenceraient la réponse. En pratique, les substances illicites utilisées par les jeunes joueurs de hockey se regroupent dans un cocktail de stimulants, d’hormones de croissance et de stéroïdes. La problématique s’illustre dans une ampleur inquiétante considérant que plus de 100 000 jeunes mineurs pratiquent le hockey au Québec.
 

Contexte historique du dopage sportif

Actuellement, la problématique du dopage précoce chez les joueurs de hockey s’observe dans la majorité des sports à perspective professionnelle, autant chez la relève que chez les professionnels. Or, le dopage existe depuis longtemps. Les athlètes de la Grèce antique auraient été les précurseurs du dopage en ayant suivi des régimes spéciaux dans le but d’améliorer leurs performances sportives (de Mondenard, 2000). Au XIXe siècle, l’utilisation de strychnine, de caféine, de cocaïne et d’alcool s’était répandue parmi les athlètes d’endurance. Plus tard, on a développé les amphétamines, une substance qui visait à inhiber la douleur. À l’aube des années 1980, les innovations moléculaires ont permis de créer les stéroïdes, les corticoïdes, les hormones de croissance, puis l’érythropoïétine en 1990.
 
Le décès d’un cycliste danois pendant les Jeux olympiques de Rome en 1960, où l’autopsie avait révélé des traces d’amphétamines, a encouragé les autorités sportives à introduire des contrôles antidopage. En 1966, l’Union internationale de cyclisme et la Fédération internationale de football ont été parmi les premières fédérations à effectuer des contrôles antidopage au sein de leurs championnats (Brissonneau et Le Noé, 2006). L’année suivante, le Comité international olympique a inauguré une commission médicale internationale pour dresser la première liste de substances bannies. Dès lors, la liste était fournie à chaque fédération sportive internationale, où chacune était responsable du contrôle antidopage dans leur sport respectif.
 

Des conséquences néfastes

Il apparaît clairement que le dopage sportif entrave les fondements éthiques d’une compétition juste et équitable, pourtant prônée dans le sport. Mais les conduites dopantes soulèvent aussi un enjeu de santé publique dans la mesure où elles provoquent des impacts néfastes sur la santé des athlètes qui consomment. En effet, le dopage sportif est caractérisé par une dépendance à ces substances dopantes nuisibles à la santé. Plusieurs athlètes ont perdu la vie dans une « overdose » étouffante de substances illicites. D’autres ont subi de graves problèmes de santé : des cancers, des infections, une stérilité et des problèmes de santé mentale (Rieu et Queneau, 2012). Le dopage peut aussi mener à une exclusion sociale quand l’athlète est reconnu dopé. Le cas de Ben Johnson, victorieux du 100 m sur piste aux Olympiques de 1988, positif au test, mis à la rue, montré du doigt et tombé en dépression est ici une belle illustration.
 

Des raisons au dopage

Malgré l’élaboration de politiques universelles, la problématique du dopage semble persister, voire augmenter dans le monde du sport, et surtout chez les adolescents. Certains écrits scientifiques indiquent même que le dopage toucherait une population plus grande que les athlètes de haut niveau, en spécifiant que la consommation des produits dopants commence, dans certains sports, dès l’âge de 11 à 15 ans, et qu’elle ne cesse d’augmenter (Calfee et coll. 2007). Mais qu’est-ce qui détermine cette tentation grandissante pour la consommation des produits dopants?
 

La pression des pairs

Certains sociologues sont d’avis que la consommation de produits dopants chez les jeunes résulte d’une pression externe renforcée par la norme sociale. En effet, dans leur quête de performance, les jeunes
athlètes sont majoritairement appuyés et soutenus par leurs parents, communautés, écoles, clubs, amis et entraîneurs. La littérature montre que ces athlètes peuvent ressentir une certaine anxiété de performance face à la possibilité d’échouer et ont peur de décevoir leur entourage, de nuire à la fierté régionale, puis de perdre l’attention du coach (Smith et coll. 2007). Cette crainte pourrait expliquer, en partie, la consommation de produits dopants chez les jeunes athlètes.
 
L’abondance des messages extrêmement positifs et valorisants, véhiculés à l’égard d’un athlète, peut se transformer en charge écrasante. Ainsi, une bonne éducation et des valeurs nobles ne sont pas forcément suffisantes pour vaincre cette pression. Certains jeunes joueurs de hockey des régions qui viennent de familles peu scolarisées sont prêts à tout pour atteindre leur rêve. Même les entraîneurs, aussi bons soient-ils, sont conscients de l’accessibilité aux produits dopants. Ils sont aussi conscients des bénéfices à faire si l’athlète ou l’équipe monte sur la plus haute marche du podium. Par exemple, en 2015, le trio vainqueur du Tour de France a récolté la somme de 900 000 euros. Dans la ligue nationale, certains joueurs signent en moyenne des contrats à huit chiffres, basés sur leurs performances. Il n’est pas étonnant qu’un entraîneur soit tenté de fermer les yeux devant des conduites dopantes, quand ses joueurs lui assurent la promesse d’un compte bancaire annuel de quelques millions de dollars US (Perreault, 2014).
 

Des enjeux financiers plus larges

En discutant avec des cyclistes, des triathlètes et des hockeyeurs de niveau professionnel, l’unanimité fait consensus à l’égard de l’omniprésence du phénomène. Selon ces athlètes, les fédérations n’aident pas la cause, en limitant les investigations et en achetant ou en imposant le silence à n’importe quel journaliste voulant creuser le sujet. Par exemple, en 2014, malgré les efforts de l’Agence mondiale anti dopage, le bruit court que la compagnie Ironman n’aurait pas investi dans un test visant à retracer l’érythropoïétine, la substance miracle des épreuves de longue distance, et ce, par « manque de budget ». Le spectacle doit constamment être amélioré et rien ne doit l’entacher pour que la rentabilité de ces entreprises en croissance soit au rendez-vous. On soupçonne ainsi qu’il est préférable de taire les doutes ou de ménager les efforts de transparence. Comment effectivement faire des gains, grandir les cotes d’écoute, vendre des produits dérivés sur le marché mondial, obtenir des sponsors et commanditaires, signer des contrats, si le dopage est mis à jour. Mettre tout en œuvre pour lutter contre le dopage ou taire cette pratique courante et immorale : l’argent semble arbitrer le match dans une certaine direction.
 

Une certaine conception du corps

Enfin, on peut encore avancer que le dopage, tel qu’il se présente aujourd’hui, est fondé sur une certaine conception du corps. Se doper consiste en fait à surpasser les limites d’un corps. C’est recourir en quelque sorte à une béquille pour parfaire ses capacités et notamment sa mobilité et sa motricité. Le dopage témoigne ainsi d’une tentative d’échapper à sa condition humaine et à des fondements naturels. On prend conscience que le corps de l’Homme n’est pas celui du guépard, du singe ou de l’éléphant, mais qu’il pourrait arriver à se conformer aux nouvelles exigences que l’environnement artificiel produit par l’Homme lui impose dorénavant. Travailler et transformer le corps devient ainsi un moyen pour entretenir cet environnement sportif, médiatique, financier, ludique, frénétique. Dans cette veine, le corps a caractère d’objet. Il peut être bricolé, « cyborgisé », manipulé.

En fin de compte, le dopage nous ramène finalement et plus largement vers des questionnements éthiques identiques à ceux qui portent sur le transhumanisme, et sur le projet de créer des « êtres humains nouveaux » plus performants. Il nous demande d’interroger les valeurs qui participent à créer ce type d’environnement, qui dictent de nouveaux usages du corps, et qui proposent de faire de notre corps un moyen comme un autre dans des appareils de production.
 

Bibliographie

Brissonneau, C., et Le Noé, O. (2006). « Construction d’un problème public autour du dopage et reconnaissance d’une spécialité médicale », Sociologie du travail, 48(4), 487-508.
 
Calfee, R., et Fadale, P. (2006). Popular Ergogenic Drugs and Supplements in Young Athletes. Pediatrics, 117(3), e577-e589.
 
De Mondenard, J.-P. (2000). « Historique et évolution du dopage ». Paper presented in Annales de Toxicologie Analytique. (Vol. 12, no. 1, pp. 5-18). EDP Sciences
 
Goulet, C., Valois, P., Buist, A., et Côté, M. (2010). « Predictors of the Use of Performance-Enhancing Substances by Young Athletes ». Clin J Sport Med, 20, 243-248.
 
Perreault, C. (2014). le salaire des entraîneurs, la pub pour les chandails et de nouveaux noms pour les trophées? insider training. Retrieved from http://25stanley.com/insider-trading-le-salaire-des-entraineurs-la-pub-sur-les-chandails-et-de-nouveaux-noms-pour-les-trophees.html
 
Rieu, M. et Queneau, P. (2012). Sport et Dopage. Groupe de travail de l’Académie nationale de médecine, rattaché à la Commission II.
 
Smith, A. C. T., et Stewart, B. (2015). « Why the war on drugs in sport will never be won ». Harm reduction journal, 12(1), 1.
 
Smith, R. E., Smoll, F. L. et Cumming, S. P. (2007). « Effects of a motivational climate intervention for coaches on young athletes’ sport performance anxiety ». Journal of sport and exercise psychology, 29(1), 39.
 



Laurence Côté-Leduc est étudiante à la maîtrise en santé communautaire à l’Université Laval et triathlète pour l’équipe universitaire du Rouge et Or. Passionnée par l’environnement sportif, elle combine sport et études en rédigeant actuellement son mémoire sur le dopage dans le milieu du hockey juvénile au Québec. Détentrice d’un baccalauréat en administration des affaires complété à l’École des hautes études commerciales (HEC) à Montréal, elle a fait partie de l’équipe de natation des Carabins et a participé à plusieurs championnats d’envergure nationale et internationale.
 
Formé comme infirmier diplômé d’État en France, Nicolas Vonarx s’est impliqué dans le champ de la santé publique internationale avant de comprendre que les approches anthropologiques étaient incontournables pour s’engager intelligemment dans la transformation des réalités sociales. Détenteur d’une maîtrise et d’un doctorat en anthropologie, il est actuellement professeur titulaire à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval. Il aborde, dans ses enseignements, les dimensions anthroposociales des expériences de maladie et la santé mondiale. Ses recherches et ses réflexions portent sur l’articulation entre la religion/spiritualité et la maladie grave, sur les soins et les médecines du monde.


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